À l’occasion de retrouvailles d’une partie de la promotion 71 en mai 2019, Robert Saletti a produit un texte très personnel intitulé Je me souviens qui détaille certains de ses souvenirs impérissables et que nous reproduisons ici.
Chères et chers sexagénaires,
Vous serez d’accord avec moi, nous étions beaux, jeunes, un peu baveux et parfois cons. Tout comme l’époque. Nous étions de la dernière cohorte de baby boomers qui voulaient, croyaient, changer la société. Dans la foulée de l’Exposition universelle, la « Terre des hommes » s’ouvrait à nous. Tout semblait possible. Certes, 1970-71 fut l’année des mesures de guerre avec des soldats et des camions kaki dans les rues, mais c’était à peine un an après l’atterrissage sur la lune, Woodstock, le bed-in de Lennon-Ono au Reine Élizabeth et les Expos au parc Jarry. Ce fut aussi l’année de l’annonce de l’obtention des JO pour 1976. Je n’insiste même pas sur la Coupe Stanley des Habs, une habitude à cette époque. Tout semblait possible, individuellement, artistiquement, professionnellement, collectivement. Nous étions beaux, jeunes, un peu baveux, parfois cons… et plutôt chanceux que ça bouge autant autour de nous et donc que ça brasse en nous.
Avertissement : toute ressemblance avec la réalité de l’époque n’est pas fortuite mais demeure sujette à caution compte tenu de la distance temporelle.
Je me souviens des vestons marine, des cravates, des longs cols roulés et des courtes jupes. Surtout des jupes.
Je me souviens d’une classe qui en avait fait voir de toutes les couleurs à son prof de français et qui aurait poussé n’importe qui d’autre à la dépression. Que le trop gentil et trop compréhensif M. Tardif nous excuse aujourd’hui du brouhaha intensif auquel nous l’avions soumis. Nous n’étions pas méchants juste insensibles.
Je me souviens de visites dans le bureau de la direction (ah ! M. Brunette) pour faire examiner la longueur de nos cheveux.
Je me souviens d’une retenue le samedi matin parce que le midi nous étions allés manger à l’extérieur. Nous avions passé deux heures à rédiger un texte punitif censé nous faire prendre conscience de l’importance du sens des responsabilités… et de la bonne alimentation. Oui, nous avions récidivé.
Je me souviens des mautadits tests oraux de trigonométrie à la première heure le lundi matin avec le charmant mais intransigeant monsieur Cossette. Avec un succès très relatif, je baissais les yeux et me croisais les doigts pour ne pas qu’il tonne Sa-let-ti !
Je me souviens d’un match de hockey à l’aréna contre les profs et des mises en échec de Normand Todd. Et de son sourire espiègle. Et aucun arbitre pour l’envoyer au banc des punitions. Décidément, la chimie avait un petit côté injuste.
Je me souviens des deux motards que notre prof de morale, l’original et taciturne Luc Roger, avait invités dans notre classe pour nous parler de leur vécu et de la commotion causée par leur présence à la cafétéria le midi. Meet Ti-Coune et Alice (!?).
Je me souviens des bandes de la patinoire et d’un match de crosse sur l’asphalte au printemps. Ça allait vite. Mon premier et mon dernier match de crosse, j’étais plus doué pour le baseball et le hockey saucisse.
Je me souviens d’un audacieux exposé par mon ami André dans le cours de français, qui portait sur un classique de la littérature québécoise intitulé Après-ski. La classe avait beaucoup ri, monsieur Tardif beaucoup moins.
Je me souviens du local de la radio étudiante dont la vitrine donnait sur la cafétéria et de mes premiers émois musicaux liés au rock, au blues et au jazz (mercis particuliers à André et Gilbert). L’amour de la musique n’allait jamais plus me quitter.
Je me souviens d’une ride dans un champ abandonné avec Guèvremont, de mémoire le seul de la gang à avoir un char. Nous avions tenté d’égaler le record du monde du plus grand nombre de personnes dans l’habitacle. J’étais sur le siège arrière et je ne voyais rien car il y avait deux étages de collègues par-dessus moi. Une rumeur veut que nous étions 17 quand l’auto a démarré (en comptant ceux assis sur les rebords de fenêtre) et que la suspension avait tenu le coup. Le record n’a jamais été homologué dans le Livre des pires pitreries étudiantes de l’histoire de l’humanité.
Je me souviens qu’en charge d’un projecteur durant le défilé de mode, j’étais déchiré entre faire ma job d’éclairage des mannequins et regarder la spectaculaire remontée du Canadien contre les Bruins (il y avait une télé dans un bureau près de l’accueil). Pour la petite histoire, les Habs avaient compté six buts sans réplique et gagné 7-5, et j’avais raté un seul des enchainements du défilé. Une soirée inoubliable et haute en couleurs.
Je me souviens de l’excitation de la « retraite » à l’auberge du Petit-Bonheur, des chambres non mixtes avec lits superposés, des conversations de couloir, du plaisir d’abandonner nos uniformes et de choses que je ne peux pas raconter en public… parce que je ne les ai pas vraiment vues, enfin pas tout à fait. Je me souviens d’avoir peu dormi et que la partie de ballon-balai du lendemain midi avait été particulièrement chaotique.
Je me souviens de joints fumés ici et là, dans les partys et ailleurs, des premiers buzz et de l’impression de découvrir l’envers du décor. Qui aurait pu imaginer à l’époque que la vente de drogue deviendrait un jour une « affaire d’État » ?
Je me souviens de m’être bien marré pendant le tournage du film de Louis-Éric (Vallée) à l’église de la Visitation le long de la rivière. Il y avait plein de curés gelés, d’anges aux formes féminines, de démons alcooliques (je parle de la fiction du film). L’histoire ne tenait pas trop debout (pardon Louis-Éric), tout comme nous à certains moments.
Je me souviens d’amis arrêtés par la police parce qu’un arrêt d’autobus dépassait du coffre de l’automobile dans laquelle ils trouvaient place. Quelqu’un avait convaincu la ville de Montréal de nous prêter un arrêt pour les besoins du film. L’arrêt était constitué d’un poteau de métal planté dans un socle de béton en forme de demi-sphère avec une enseigne pour indiquer le numéro du trajet au sommet. Ça ne rentrait qu’à moitié dans le coffre. Une des scènes du film exigeait un arrêt d’autobus au milieu d’un champ abandonné. C’était l’époque des mesures de guerre, il y avait des soldats armés dans les rues de Montréal. Après quelques heures au poste les amis avaient été libérés. La scène a finalement été tournée mais aux dernières nouvelles l’autobus n’était pas encore passé.
Nous ne sommes plus tout à fait jeunes et certainement moins baveux et moins cons (enfin j’espère) mais l’autre soir au Thazard nous étions beaux. D’une beauté différente que celle d’il y a un demi-siècle. D’une beauté accomplie, tranquille, consciente d’avoir traversé toutes ces années, d’avoir vécu les joies et les douleurs qui viennent avec le passage irrépressible du temps. Je me suis senti bien chanceux de pouvoir converser, rire et prendre un verre en votre compagnie et de rouvrir le temps d’une chaleureuse soirée la boîte à souvenirs de ma jeunesse. Et aussi de me remémorer Gilbert, Louis-Éric et Serge, trois amis partis beaucoup trop tôt. Je me suis senti bien chanceux d’être de la promotion 71 du MSL et de pouvoir m’en vanter aujourd’hui.
Au plaisir de vous revoir un de ces quatre mais je vous avertis, je ne serai pas là dans un quart-de-siècle. Et infinis mercis au coach Nicole Dupont et sa dream team Lucie Drapeau, Sylvie Wilkie et Robert Pontbriand qui ont permis que tout cela soit possible.
Peace & Love
Robert S, 27 mai 2019
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