Chers camarades et frères enseignants,
Nous sommes ici réunis à ce conventum parce que nous voulons souligner le cinquantième anniversaire d’un jalon important dans notre vie, celui d’avoir décroché notre baccalauréat ès arts. Ce fameux B.A. fut le diplôme couronnant notre cours dit classique. La culture que nous y avons acquise durant ces 9 années des Éléments Français à Philo II est le fruit de l’enseignement de Frères des Écoles Chrétiennes, pour la plupart, et des professeurs laïcs.
Je veux souligner ici l’appréciation que j’ai de cette institution qu’est le MSL, dirigée à cette époque par ces Frères, et leur rendre un hommage par quelques anecdotes.
J’ai commencé mes Éléments Français en 1957, à peine 3 mois après mon arrivée au Canada. Je connaissais peu la langue française puisqu’au Luxembourg, où je suis né, je ne l’ai apprise que durant quelques années de mon cours primaire. Après avoir passé l’examen d’admission écrit au collège, j’ai dû passer une entrevue avec le directeur des études qui semblait étonné que je n’aie pas su répondre à certaines questions. En me questionnant, il se rendit compte que je connaissais les réponses, mais je n’avais pas compris la question à cause de ma faiblesse en langue française. Je ne m’étais pas aperçu de cela sur le moment, mais ce fut la première de plusieurs chances que les Frères m’accordèrent durant mes études pour m’encourager à aller de l’avant et de développer mes talents.
À la fin des années cinquante, notre Alma Mater avait une clientèle composée en très grande partie de pensionnaires et le reste d’externes. Cela permettait à des jeunes de l’extérieur de Montréal de suivre leur cours classique ou scientifique. Parmi ceux qui avaient commencé le pensionnat, tous eurent l’occasion d’y rester jusqu’à la fin de leurs études, même si en dernier (1967) il ne restait que quelques individus dans cette situation, vu que le collège avait diminué le nombre de pensionnaires, et en conséquence fait augmenter le nombre total d’élèves à plus de 1200 , en installant des salles de classe dans les anciens dortoirs du 4e étage.
La clientèle du collège comprenait un bon nombre de jeunes dont les familles n’étaient pas financièrement fortunées. En adaptant un précepte de Jean-Baptiste de Lasalle, un programme de dons, de prêts et de bourses leur permettait de suivre leurs études dans une institution de qualité. On n’a jamais eu à déplorer des attitudes hautaines de la part des riches envers ceux qui ne l’étaient pas. Les Frères ne l’auraient pas toléré.
Un autre exemple personnel de chance qu’on m’a accordé. J’aimais tellement la Versification que je l’ai répétée 2 fois… Nous sommes quelques-uns dans ce cas ici présents. On se souvient qu’à l’époque, si on échouait dans une matière avec moins de 60 %, et d’autant plus à l’examen de reprise, on devait reprendre l’année complète dans toutes les matières. Dans mon cas, la chimie fut un blocage mental complet. Je crois que l’année suivante, j’ai « réussi » l’examen de fin d’année avec la note de passage, sans plus. Probablement que quelqu’un s’est dit qu’ils ont assez vu Scholer en Versification. Bien sûr que dans les autres matières, je réussis nettement mieux que la première fois, au point que je figurais enfin parmi les meilleurs de la classe. Malgré le fait d’avoir doublé une année, je n’ai jamais été dénigré par les Frères, ce que j’ai grandement apprécié.
Un de nos camarades a également connu une chance que le frère Gilbert lui a accordée. Ayant déjà demandé son admission en médecine à l’université, il lui manquait cependant 3 % à l’examen final de physique, ce qui allait le faire refuser à ses études supérieures, malgré ses très bons résultats dans les autres matières. Son avenir en dépendait. Il alla donc parlementer avec le Frère Gilbert en lui expliquant son cas. Ce dernier vérifia son examen et lui accorda quelques points de pourcentage par-ci par-là aux différentes questions de l’examen, et notre camarade a pu étudier la médecine et y faire carrière.
Vous vous souvenez du 144e régiment de cadets que formait le MSL ? J’aimais la milice, et je m’étais inscrit dans l’armée de réserve à 18 ans au Régiment de Maisonneuve. Ayant connu la rigueur de l’armée, j’en parlai au frère Ubald qui me mit en charge d’un peloton de la milice de notre collège, et en fin d’année commandant du régiment au complet. Il m’a donné ma chance de faire mes preuves.
En philo II , j’avais proposé une vaste enquête à tous les élèves du collège. Parmi les buts visés, il y avait celui que nous ayons tous une carte d’identité officielle avec le nom, la photo etc. Les Frères furent d’accord avec l’idée de cette enquête-sondage. Ils firent imprimer les 1200 questionnaires, les distribuer, les faire compléter, et compiler les résultats. Cette tâche me revint à moi et ma petite amie. Que de soirées et de fins de semaines passées à cela !!!
En plus des chances que les Frères nous offraient, souvenez-vous des possibilités sportives et culturelles qui nous étaient offertes.
Qui n’a pas participé à différents sports durant l’heure du dîner, comme le ballon-chasseur, le hockey cosom ou le ping pong ? Grâce à des installations sportives à la fine pointe du progrès dans un gymnase tout neuf, qui n’a pas joué au quilles, soulevé des poids et haltères, tiré à la carabine, fait de la boxe, joué au basketball, fait de la gymnastique au sol ou sur appareils comme le cheval d’arçons, barre fixe ou parallèle, aux anneaux, etc ? Qui ne se souvient pas de la glorieuse équipe de football, les Kodiaks ? Le talent de certains joueurs les a mis sur la piste de leur vie professionnelle.
D’autres de nos camarades préféraient plutôt les activités culturelles. Vous souvenez-vous de la musique classique qu’on jouait à la discothèque durant l’heure du midi ? Certains camarades ont fait carrière dans le domaine de l’opéra, de même qu’au théâtre. D’autres ont pratiqué la musique instrumentale avec l’harmonie du collège, dirigée par Me Agostini. Certains ont commencé leur carrière politique en présidant l’association des étudiants, l’AGEMSL. Mais je ne crois pas qu’ils aient appris le communisme au collège.
Certains camarades ont apprécié la convivialité ou le dévouement de certains Frères. Par exemple, le Frère Henri qui s’occupait de la salle de tir à la carabine calibre 22. Après que les tireurs aient complétées leurs cibles, plusieurs allaient jouer au Yum avec lui. Ou bien le Frère Marcel Éthier qui enseignait les mathématiques et la géométrie, ayant fait subir des examens à 6 groupes de 30 élèves, remettait les 180 copies corrigées dès le lendemain. Ouf ! Ou bien le frère Gaétan qui donnait des « tickets de vitesse » à ceux qui dévalaient les escaliers trop rapidement avant le dîner, et qui devaient expier leur faute en apprenant par coeur certains vers des « Essais » de Montaigne sur « la Tête bien faite » . Ou bien le Frère Alexandre qui savait compléter un dessin avec une craie dans chaque main.
Je vous fais part d’une anecdote personnelle démontrant l’esprit ouvert ou avant-gardiste des Frères . A l’âge de 17 ou 18 ans, je participais tous les samedis matin aux activités du Cercle Philippe Hébert, sous la direction du Frère Gédéon Désilets, afin d’apprendre le dessin et la peinture. A chaque séance, nous devions faire des croquis au fusain d’un modèle vivant, en trois minutes, ou 10 ou quinze, en alternant des poses. Au début de mon apprentissage, le modèle vivant était un élève du collège en tenue de basketball . Puis ce pouvait être une femme, habillée. Puis ce fut une femme en maillot de bain. Puis en bikini, puis en monokini, et puis sans kini du tout. Je crois que si tous les élèves du collège avaient su cela, on aurait manqué de place à l’atelier du samedi matin. Cependant, lors de l’exposition de nos œuvres à la fin de l’année scolaire, nous devions dessiner un semblant de bikini par-dessus les croquis de nudité, afin de ne pas choquer certains esprits rétrogrades.
Voici un autre exemple où les Frères s’adaptaient aux changements de la société. Étant un organisme religieux, nous devions tous au grand complet assister à la messe du vendredi dans la magnifique chapelle de style rococo, juste avant le dîner. Puis, au début des années soixante, c’était seulement pour le premier vendredi du mois. Plus tard, après que la chapelle ait été modernisée, assistaient à la messe ceux qui voulaient bien, alors que les autres étaient en période d’étude dans la grande salle au-dessus de la chapelle.
Vers la fin de nos études, nous avions de moins en moins de Frères qui nous enseignaient. Plusieurs laïcs nous montraient la littérature française comme Yves Dubé et Robert Bannout , Serge Monosiet en Physique, Drouilly en littérature française, latin et chimie, Nelson Landry et Drewski en Chimie, Jacques Lucques en géographie, Marc Lavallée en bio etc. Nous avons même eu une femme qui nous enseignait en sociologie. Et puis, lors de la rentrée de vacances en septembre 65, voilà que les magnifiques et imposantes balustrades bordant les escaliers avaient été recouvertes de contreplaqué. Et pour cause, l’arrivée des filles en Belles-Lettres, Rhétorique et Philo. Lorsque j’ai demandé à un Frère la raison du contreplaqué, il m’a répondu par l’évidence : il y avait des filles, et en montant les escaliers, un garçon en contrebas aurait pu se tromper en regardant vers le ciel… Et puis le collège a fait ses débuts d’agence matrimoniale, puisque certains garçons (ici présents) ont fini par marier des demoiselles rencontrées au Mont Saint Louis, et vivent encore avec elles.
Une anecdote dont un de nos camarades m’a fait part, faite à l’occasion de la bienvenue aux filles par le directeur Frère Alarie : « grâce à votre présence, vous allez peupler le collège ».
Il ne pensait pas si bien dire…
Je crois que la raison que nous sommes présents ici à ce conventum, c’est parce que nous avons vécu des expériences heureuses dans ce collège dirigé par les Frères des Écoles Chrétiennes. Dans une autre province, des élèves d’un pensionnat ont connu des choses sordides, qui ont terni la réputation des Frères. Mais au Mont Saint Louis, nous n’avons jamais entendu parler de ces choses. Je voulais par cette allocution contribuer à redorer le blason des Frères, qui ont consacré leur vie à bien enseigner aux élèves qui leurs étaient confiés. Moi je leur en suis très reconnaissant et sûrement vous également. Que cette allocution soit un hommage en leur honneur !
Ronald Scholer, promotion 1967 (Diplômé du Baccalauréat-ès-Arts)
16 novembre 2017