Lui, il était assis à la table de réunion, les sourcils froncés et le regard sérieux qui imposent l’autorité. C’est la première image qu’elle perçut de lui. Elle, il était facile de la remarquer. Elle était la seule inconnue à la table.
C’est donc lors d’une réunion de travail, il y a maintenant cinq ans, que tout a commencé. Ceci n’est pas tout à fait juste, car cette histoire a réellement commencé le jour où – je ne pourrais dire avec exactitude quel jour elle vit sa photo pour la première fois – mais c’était très certainement au local du Journal Mon Oeil ; un jour où elle fouillait les archives du Journal pour une quelconque raison et qu’elle était tombée sur des photos de lui. Son nom et sa figure l’avaient marquée parce qu’il avait été, tout comme elle, directeur du Journal.
C’est justement parce qu’elle l’avait reconnu qu’elle est allée lui parler à la fin de la réunion. Elle se présenta en lui disant d’emblée : « Bonjour. Je suis Nadine Asswad. Moi, je te connais, mais toi tu ne me connais pas. » Ses traits rudes s’adoucirent soudain. Cette manière particulière de se présenter le pris par surprise au point qu’il crut pour un instant qu’elle amorçait une séduction. Mais, elle mit fin à sa rêverie au moment où elle mentionna le Journal Mon Oeil comme explication à l’effronterie de sa présentation. Elle ne l’avait abordé, dans les faits, que parce qu’elle avait trouvé en lui ce lien d’appartenance au Mon Oeil qui réconforte au milieu de ces inconnus.
Cette appartenance, cette communauté de vies antérieures fut le point de départ de beaux et riches échanges. Ils se racontaient comment c’était à leur époque réciproque, car lorsqu’elle est arrivée au Collège, il venait tout juste de terminer. Ils se rappelaient l’apprentissage rigoureux autant que les moments partagés avec JLD.
Ce qu’elle ne savait pas est qu’elle lui plaisait. Elle ne pouvait pas s’en rendre compte, même s’il levait la tête à chaque fois qu’elle passait devant son bureau. Elle était en fait un peu naïve ou plus exactement inconsciente de ce que les gens pouvaient penser d’elle. Naïve ou inconsciente, elle n’a jamais rien soupçonné même lorsqu’elle lui avait amicalement donné son numéro de téléphone sans qu’il le demande; encore moins quand Jean-Louis, grand visionnaire, les avait nominés dans la catégorie ‘Couple du MO’ au gala du vingtième anniversaire.
Lorsque leur contrat fut terminé et le vingtième du Mon Oeil passé, leurs chemins se sont séparés. L’histoire raconte qu’ils avaient à vivre des expériences personnelles et ce, indépendamment l’un de l’autre. Le temps n’était pas venu. Sans qu’ils ne se donnent signe de vie, lui pensait parfois à elle et se demandait ce qu’elle devenait. Elle, de son côté, pensait parfois également à lui. Elle avait une pensée particulière tous les ans, le jour de son anniversaire, car sa fête était le 5 novembre, deux jours après la sienne…
La vie fit en sorte qu’un beau jour, quatre ans après la soirée du vingtième anniversaire du Mon Oeil, il décida de la retrouver. Ne sachant pas ce qu’elle était devenue, il trouva son adresse courriel et prétexta une invitation à une pièce de théâtre qu’il produisait, comme excuse pour la contacter. Elle, n’ayant pas remarqué que le courriel, envoyé sous forme d’envoi de groupe, ne comportait que son adresse, lui répondit avec la même candeur qu’autrefois. Ne pouvant assister à la pièce, elle lui offrit de prendre un café pour rattraper le temps passé des dernières années.
Ce fût un dîner au resto qui dura de longues heures, suivi d’un café chez elle qui s’éternisa jusqu’aux petites heures. Malgré les années d’absence, la conversation coulait d’un naturel dont la facilité à la fois captivante et profonde étonnait chacun d’eux. C’était comme si l’amitié ne s’était jamais interrompue. Mais en même temps, ils semblaient refaire connaissance ou plutôt faire réellement connaissance, car leur amitié n’avait jamais atteint l’intimité des vrais sentiments. C’est avec hésitation qu’il décida de la quitter ce soir-là, ne sachant pas comment interpréter les signes. Était-elle intéressée comme il l’était ? L’aisance de leur rencontre qu’elle semblait partager lui parut mitigée, c’était trop simple.
Au second rendez-vous, la simplicité et l’aisance senties la première fois se virent accentuées, confirmant la complicité naissante. Cette deuxième rencontre devint vite le début d’une relation amoureuse. Contre toute logique, deux mois passèrent et elle emménagea chez lui. Deux mois plus tard, bien que ni l’un ni l’autre n’ait jamais cru se marier un jour, ce fut elle qui le demanda en mariage. Ils s’étaient cherchés pendant des décennies, ils s’étaient maintenant trouvés. Leur mariage fut à l’image de leur amour : une union à la fois simple et vraie durant laquelle ils ne pouvaient que sourire lorsqu’ils voyaient le bonheur radiant des visages de leurs convives.
Aujourd’hui, ils sont mari et femme et lorsqu’ils racontent l’histoire de leur rencontre, ils persistent à croire que son récit n’est pas celui d’un conte de fée. Si c’est un conte, il faudra réviser les livres pour raconter comment le grand amour est parfois une question de synchronisme, mais surtout de simplicité.
Michel et Nadine prennent aujourd’hui plaisir à vivre ensemble l’évolution de leur amour en souriant à chaque fois lorsqu’ils repensent que c’est en fait grâce au Mon Oeil et à leurs expériences fondatrices vécues au Mont-Saint-Louis qu’un jour ils se sont parlés pour la première fois.
Michel Tremblay, promotion 1990
Nadie Asswad, promotion 1995
Août 2008