Soixante ans après avois quitté ce magnifique collège, j’éprouve, avec joie et émotion, le projet d’en écrire mes souvenirs en m’inspirant des anciens regroupés dans le livre Mémoires collectives MSL 62 (GID). La barre est haute ! Difficile de remettre ma mémoire en marche après tout ce temps.
Le Collège Mont-Saint-Louis était, pour moi, LA référence de tous les séminaires et collèges classiques du Québec. Je cite très souvent le MSL dans les conversations concernant l’enseignement au Québec alors aux mains du clergé catholique.
J’ai commencé mes études classiques au début des années 50 au Séminaire de Valleyfield chez les prêtres séculiers où j’étais pensionnaire. Je n’appréciais pas l’enseignement que je trouvais primaire et rétrograde où la religion catholique couvrait tout. Par exemple, l’enseignement de l’histoire du Canada se limitait à l’histoire religieuse, de même qu’en littérature. En revanche, les cours de latin et de grec étaient les bienvenus. Il était interdit d’apporter des livres de l’extérieur à moins d’une autorisation écrite d’un prêtre enseignant malgré le nihil obstat et l’imprimatur des éditeurs. La bibliothèque était d’une grande pauvreté. Et naturellement, il y avait les livres à l’index reposant dans « l’enfer ». J’ai compensé en partie cet ennui en m’inscrivant aux cours de musique et dans la chorale.
Pendant les messes quotidiennes, on chantait des psaumes et autres chants en grégorien. La musique était ennuyante, mais ça m’évitait, étant au jubé, d’être dans la nef à m’agenouiller pieusement pour vénérer des objets en or. Je me souviens aussi que les religieuses, affectées en exclusivité aux tâches ménagères (cuisine et dortoirs), n’étaient pas considérées à leur juste valeur. Elles étaient au service des hommes, ce qui m’agaçait sérieusement, considérant l’éducation féministe de ma famille.
Puis, mes parents ont pris l’heureuse décision de m’inscrire au Mont-Saint-Louis. Les valeurs du MSL étaient proches de celles de ma famille, dont l’ouverture d’esprit, le développement du sens critique pour se remettre en question. J’y ai fait mon entrée à la fin des années 50. Ce vent de liberté et de modernisme a été pour moi salutaire. J’y suis resté jusqu’en 1961.
L’enseignement était super! Pour la première fois, on étudiait notre histoire dans un vrai livre d’histoire : Guy Frégault, l’Histoire de la Nouvelle-France (Fides). En littérature française (frère Simon), c’était moyen. Il lisait les textes de Castex & Surer (Hachette), tout simplement. En sciences les cours étaient très bons avec le frère Alexandre, le préféré des auteurs des Mémoires collectives et de plusieurs anciens du MSL.
Les cours de dactylographie ont surpris bien des étudiants qui croyaient que cette activité était dévolue aux filles. Mais le frère Nicolas, homme sage et astucieux, nous avait expliqué qu’en l’absence d’une secrétaire, il nous serait fort utile, dans l’urgence, de savoir écrire à la dactylo.
Je me suis impliqué dans le Journal du Collège et j’ai créé des « journaux » de classes de fin d’année. J’en ai d’ailleurs remis quelques exemplaires au nouveau Collège.
J’ai continué mes cours de musique avec le maestro Giuseppe Agostini et j’étais un musicien de l’harmonie et à l’occasion de la fanfare. Je jouais de l’euphonium ou du baryton. On donnait des concerts au Collège et à l’extérieur.
La fanfare du MSL était la fanfare attitrée du régiment de Maisonneuve. Elle était d’ailleurs invitée à la Cérémonie du Souvenir à Montréal. J’ai aussi le souvenir, parfois vague, de mes confrères musiciens, tels Guy Parent, Réal Larose, Jean-André Chartrand, Fernand Poupart, Denis Girard, André Boisvert. Il régnait un bel « esprit d’équipe » autour de la musique.
J’ai aussi gardé en mémoire un événement nourrissant encore mon anticléricalisme. C’était pendant la semaine des vocations ou de pastorale. Les évêques faisaient le tour des collèges classiques de leur territoire pour promouvoir les vocations sacerdotales. Le cardinal Léger vint à l’amphithéâtre du MSL pour mousser lesdites vocations. Il en profita pour réprimander la direction pour le nombre très restreint de ses finissants qui se dirigeait vers la prêtrise. Le millier d’étudiants et les frères présents manifestèrent alors leur mécontentement. Et le distingué directeur, frère David, dans sa réplique quelque peu cinglante, informa le cardinal que le Mont-Saint-Louis n’avait pas l’environnement requis pour former des prêtres et qu’au moment de leur demande d’admission, les étudiants désireux de devenir prêtre, étaient dirigés vers les collèges des Jésuites ou des Sulpiciens. De plus, il souligna que le cardinal Villeneuve avait fait ses études classiques au MSL! Et l’auditoire de manifester sa joie.
Tous les midis, nous allions dîner à un restaurant (Saint-Denis/Ontario) tenu par des Gaspésiens. Les mêmes joyeux lurons participaient à ces repas, André Forget, Pierre Depelteau, le soussigné et un autre dont j’ai oublié le nom. Le repas complet coûtait 0,66 $!
Je me suis inscrit à la salle de tir à la cible où il y avait d’excellents tireurs sous la houlette du frère Henri (Henri Lalonde). Une équipe des meilleurs tireurs fut constituée. Cette équipe avait d’ailleurs été choisie pour représenter le Canada aux Jeux du Commonwealth en Australie… le tout selon ma mémoire vieillissante. Cette salle de tir professionnelle, était également utilisée par des tireurs d’élite de différents corps policiers. Les armes et munitions étaient fournies par le ministère de la Défense du Canada, grâce à des généraux, anciens du MSL.
Il y avait aussi, dans la troisième cour (niveau de la rue Ontario), un espace dédié à l’exercice du tir à l’arc auquel j’ai participé. Les cibles étaient accrochées sur les bottes de foin empilées sur le mur ouest.
Dans le domaine des sports, le MSL ne donnait pas sa place. J’ai participé à quelques parties de football opposant les Kodiaks à d’autres collèges. Aimé Constantin était l’entraineur de l’équipe. Je me souviens qu’un jour notre équipe est arrivée en bus au Collège de l’Assomption avec nos majorettes. Scandale…! Dans la ligue intercollégiale l’équipe de football du MSL était la seule à avoir des majorettes.
Un jour, j’ai aussi accompagné l’équipe du Collège de Montréal qui jouait contre celle des Pistolets du séminaire de Joliette. Ma présence était justifiée pour accompagner la blonde d’un ami du Collège de Montréal car les Sulpiciens défendaient à leurs étudiants d’être vus avec une fille, sous peine de renvoi, et ce même à l’extérieur des murs dudit Collège.
Mêmes succès au hockey et au ballon panier pour le MSL. De super étoiles partout! Nous pouvions compter sur les meilleurs équipements sportifs et sur la présence d’excellents entraîneurs. Il faut dire qu’une partie du financement provenait des Christian Brothers des USA. Cette communauté américaine était propriétaire de la distillerie Christian Brothers et ses produits, fort rependus (brandy, vins…), contribuaient à son enrichissement. Avec le frère Titus (Mellitus), nous avons d’ailleurs visité une cave voutée sous le Collège (ancienne brasserie) pour y découvrir des bouteilles en vieillissement.
Enfin, à l’instar de Ralph Smith, je peux dire que j’ai l’héritage du MSL tatoué sur le cœur.
Ma vie après le MSL
En 1962, j’ai obtenu un emploi d’été à la Régie des permis d’alcool du Québec, au service du Tribunal administratif. On m’a donné des mandats fort intéressants et j’ai continué à y travailler à temps plein par la suite. J’étais maître des rôles, chargé de la publication des demandes de permis dans les journaux, conseiller auprès du tribunal dans certains dossiers, juge de paix, greffier-audiencier, responsable du plumitif… J’ai fondé le journal Le Pionnier destiné à tout le personnel de la Régie. Ce bulletin avait pour but de former les employés des magasins à l’œnologie de base. J’assistais aux dégustations de vins au laboratoire du Dr Montpetit, œnologue réputé en Amérique du Nord, mais ça n’a pas fait de moi un spécialiste en la matière.
Retour aux études
En 1968-1969, j’ai avisé mon président, le juge Marc Lacoste, de ma décision de retourner aux études pour parfaire ma scolarité afin d’obtenir le diplôme requis pour entreprendre des études de droit à l’université de Montréal. Ce dernier accepta ma demande et mes supérieurs m’encouragèrent dans cette démarche. C’était l’époque de la création des cégeps qui remplacèrent les collèges classiques. Il n’y avait que le Séminaire de philosophie et le Collège Grasset des Sulpiciens qui offraient la suite des cours d’une durée de deux ans, pour obtenir le diplôme requis menant à l’université.
Mauvaise surprise, ces cours, en sciences humaines, étaient de la même nature que ceux du Séminaire de Valleyfield, 10 ans avant! Livres à l’index, enfer…et cours de philosophie axés sur la religion catholique. Et que dire d’un cours de cosmologie donné par un curé récupéré à la hâte d’une mission en Afrique! L’objectif avoué de ce cours était simple : prouver hors de tout doute l’existence de Dieu. J’ai alors regretté amèrement ce cher Mont Saint-Louis.
Admis à la faculté de droit de l’Université de Montréal, j’ai obtenu ma licence en droit en 1974. Je suis retourné dans la fonction publique à la Commission de protection du territoire du Québec (CPTAQ), à la direction des enquêtes, puis à la direction des affaires juridiques. J’y étais à titre d’arrêtiste, de bibliothécaire, du contrôle de la qualité des documents décisionnels, des relations avec SOQUIJ. J’ai fait partie d’une formidable équipe pendant plus de 30 ans. Deux avocats de cette équipe avaient aussi étudié au Mont-Saint-Louis. D’ailleurs mes amis ayant fréquenté le MSL affichaient toujours leur fierté d’y avoir fait leurs études.
Autres souvenirs liés au MSL
Alors que nous logions à l’hôtel du Blaver à Gouarec, lors d’un voyage en Bretagne avec ma femme Denise et ma fille Geneviève, j’ai fait une rencontre exceptionnelle le 16 août 1987. En descendant le grand escalier vers la salle à manger, j’ai entendu des voix aux accents québécois. Il y avait, près de notre table, un groupe de quatre couples de joyeux vacanciers. Mon attention se porta sur le voisin de table de Françoise Gaudet-Smet, journaliste et animatrice. Je reconnu le visage d’un professeur du MSL. Celui-ci s’est senti dévisagé et madame Françoise est alors venue me voir. C’était le frère Alexandre, devenu son conjoint (Alexandre Blouin est décédé en 1987). Ce groupe était constitué de professeurs de l’Université de Sherbrooke. À noter que cette charmante Françoise s’était d’abord mariée avec le frère Samuel (Brisson) le 30 octobre 1965. Le frère Samuel avait quitté la communauté des FEC en 1964 (il est décédé en 1982).
À la fin des années 60, j’ai participé au financement de la coop du nouveau MSL. On y achetait des parts sociales. Je crois me souvenir que le comédien Jean Duceppe en était le président.
Les frères du Mont-Saint-Louis exploitaient une ferme d’élevage de Charolais dans Lanaudière. Je m’y suis déjà arrêté pour les affaires et j’y ai passé quelques heures.
À Montréal, les frères logeaient dans un immeuble, propriété des FEC, angle Darlington et Van-Horne, si je me souviens bien. En revenant de la fac de droit, il m’arrivait souvent de m’arrêter et d’y prendre une collation avec certains d’entre eux.
J’ai aussi fréquenté pendant un certain temps, le cabaret La Catastrophe, rue Guy, propriété d’Yvon Robert père.
Enfin, mes passions sont la musique classique et la photographie N&B. J’ai toujours mon laboratoire. Quel bonheur de développer ses films, d’en faire des tirages sous une lampe inactinique, en écoutant des sonates pour piano de Schubert.
Robert Côté, promotion 1961
Mars 2023
De la rue Sherbrooke au boulevard Henri-Bourassa
Une communication par courrier électronique à la fin décembre 2022, une rencontre en février 2023 et entre temps, quelques échanges courriels.
Commençant un ménage dans sa bibliothèque, Robert Côté souhaitait offrir au Collège un exemplaire du très beau livre Un demi-siècle au Mont-Saint-Louis, 1888 – 1938. Dans son petit mot, il prit la peine de préciser : « Imprimé en 1939 à l’Imprimerie De-La-Salle, tiré à 250 exemplaires, exemplaire n° 169, 647 pages. En parfait état dans son boîtier. »
Puis à la suite de mon offre de passer prendre le livre, il a écrit ces quelques mots :
Une entrée en matière captivante!
J’étais prête à rédiger un texte intitulé Regard sur le parcours de Robert Côté, mais avant et après notre rencontre, l’interviewé a pris le temps d’écrire une partie des ses mémoires. C’est ainsi que nous avons choisi de publier le récit de l’auteur. Quant à moi, j’ai eu la chance de l’entendre raconter certains de ses souvenirs liés à son alma mater.
Notre ancien a aussi remis au Collège un journal du Mont-Saint-Louis de février 1961. De retour au Collège, j’ai lu un article écrit par le jeune Robert et qui s’intitulait : Irrespect de la femme – Dans les étreintes de l’animalité générale. De février 1961 à février 2023, soixante-deux années plus tard, mon impression est que l’étudiant était avant-gardiste, ou du moins déjà sensible à certains préjugés.
Lors de notre rencontre, en abordant le sujet du Maestro Giuseppe Agostini, directeur de l’harmonie du Collège, il a été question du frère René surnommé B-29 à cause de ses grandes oreilles. Mon hôte a aussi évoqué la confession de masse et l’absolution générale de l’aumônier Beaudin, décriées par l’évêché, la rivalité entre les frères des Écoles chrétiennes et les Jésuites et les Sulpiciens ainsi que les soirées de danse avec les filles de Sophie-Barat. J’ai aussi appris que le frère Alexandre, qui deviendra le 2e conjoint de Françoise Gaudet-Smet, a contribué à l’illustration de la Flore laurentienne de Marie Victorin. Passionnant!
Ma tête est pleine d’anecdotes liées au Mont-Saint-Louis. Je vais assez souvent à la rencontre d’anciens élèves qui souhaitent partager le souvenir de leur passage au MSL. Chaque récit est unique et fascinant même si le cœur de la conversation est le même. Il faudra la raconter encore cette belle histoire d’enseignement et d’éducation. Pour celles et ceux qui habitent le MSL aujourd’hui et pour les autres qui viendront.
Danièle Bélanger, promotion 1981
Mars 2023