Marcel Côté, alias Frère Claude (1916-2004)

Hier, le 4 octobre 2004, j’ai senti qu’on m’arrachait une partie de mes entrailles. Marcel Côté, que les anciens MSL ont, dans les années 40 et 50, connu sous le nom de Frère Claude, f.é.c., nous a quitté à jamais. Frère Claude, que certains appelait le «grand Claude», n’est plus. Frère Claude, le seul, l’unique, a basculé dans l’au-delà. Frère Claude, bourreau de travail, éveillé à toute la création, qui s’était chargé à lui seul d’instiller à chacun de ses élèves, non seulement la connaissance, mais la passion de la découverte des êtres vivants et l’émerveillement à tirer de chacune des manifestations du créateur.

J’ai connu le Frère Claude, qui m’a enseigné de 1946 à 1951 au collège Mont-Saint-Louis de la rue Sherbrooke. Dans le personnel enseignant du temps, l’on comptait parmi les plus grands noms qui ont assuré la réputation de cet établissement : outre Frère Claude, il y avait Frère Robert, Frère Alexandre (l’illustrateur de la Flore Laurentienne), Frère Athanase, Frère Louis (Wilfrid Cormier), Frère David, Frère Marc, Frère Jean (Alfred Vallée), Frère Benoît (Félix Blondin).

Le Frère Claude est sans contredit celui des professeurs qui faisait travailler le plus ses élèves, peut-être plus que tous les autres professeurs ensemble. Quand je regarde mes notes de classe et les travaux qu’il nous demandait de faire durant ces années au Mont-Saint-Louis, je constate qu’il nous a permis, un peu comme Noé, de faire le tour de tous les animaux et plantes de la création.

Héritier du Frère Marie-Victorin, La flore Laurentienne, dans son énorme édition originale, n’était jamais bien loin de sa main. Ceci avait inspiré plusieurs de mes copains, dont mon ami Guy Letellier, récemment décédé, à se constituer un énorme herbier de plantes laurentiennes.

Le Frère Claude était le maître de la discipline, il savait commander une écoute absolue et sa seule présence assurait un silence et une écoute instantanés. Mais il savait au besoin être irrévérencieux et surprendre l’élève par une remarque complètement inattendue qui plaçait une leçon hors du temps et assurait que le message resterait à jamais. Ainsi, un jour, alors que les élèves étaient tous réunis dans la classe de biologie, le Frère Claude s’adressa à la classe comme suit : « Bon, vous vous rappelez le mot mnémotechnique pour se souvenir des classes de
vertébrés : MAMOIREPBAPOIS. La première syllabe MAM correspond aux MAMMIFÈRES. Aujourd’hui nous allons commencer l’étude de cette classe de vertébrés, les MAMMIFÈRES. Les MAMMIFÈRES, ce sont des animaux qui portent des mamelles. Vous savez ce que c’est que des mamelles? Et s’adressant à un élève, il poursuivit : «Toi, Gilles, ta tite soeur an-na tu des mamelles?» Le pauvre Gilles faillit tomber en bas de sa chaise pendant que le reste de la classe éclatait de rire. Dans le climat du temps un tantinet janséniste, la question du Frère Claude
était risquée et totalement inattendue et Gilles ne savait trop quoi penser : pantois, il affichait un sourire niais, hésitant entre l’éclat de rire ou l’effort de se recomposer un air sérieux. Le pauvre Gilles ne s’en est jamais remis mais le coup du Frère Claude avait marqué et je suis certain que chacun des membres de cette classe s’est souvenu à jamais du sens du mot Mammifères.

Il pouvait aussi jouer des tours à ses contemporains. Ainsi un jour il se déguisa en femme : bien corseté, avec chapeau, perruque, verres fumés et robe blanche très séante, il se présenta chez sa sœur qui ne le reconnut pas du tout. À son retour plus tard, il l’appela au téléphone pour lui demander si elle avait reçu quelqu’un durant la soirée. Elle ne voulut jamais croire que c’était lui qui lui avait ainsi rendu visite.

Quand je pense à ce qu’il m’a appris, je vois que je lui dois l’essentiel de mes connaissances des êtres vivants, vertébrés et invertébrés, de la botanique et de la biologie en général. Également, ce que je sais en anatomie et en physiologie humaine, c’est à lui que je suis redevable. Je me rappelle les soirées consacrées à reproduire, en guise de devoirs, des écorchés et autres reproductions du corps humain, souvent, il me souvient, tirés des livres de Fritz Kahn et notamment du fameux « Man in Structure and Function ». Il m’arrive même d’y référer à l’occasion avant de consulter des ouvrages plus modernes. Cette première donne, concoctée par un véritable maître, est restée, dans la configuration de mon mental, comme une assise de connaissances primordiale et incontournable.

Aujourd’hui, alors que je contemple le corps sans vie de ce qui était le Frère Claude, dans son cercueil, à la chapelle des Frères des École Chrétiennes, à la Résidence du Bord-de-l’eau, je reconnais le faciès, le nez aquilin à la romaine, les sourcils arqués, la peau encore belle, de ce mentor tellement fécond qui, après une vie de dévouement et de détachement, s’est éteint dans le silence et la discrétion. Une immense tristesse monte en moi devant cette perte incalculable et le peu de reconnaissance que la société en général et peut-être nous aussi, les anciens du Mont-Saint-Louis, ceux qu’il a si bien formés et façonnés, ont pu lui manifester durant ses années parmi nous. Un autre de ces péchés d’omission qui vous tord les tripes!
Aujourd’hui, devant sa dépouille, je veux plier le genou et m’incliner devant le maître qui passe et que je perds.

Jacques Pilon
Montréal, le 5 octobre 2004

Le Frère Claude, c’était le prince du mnémotechnique, un mot que j’ai appris de lui et qui m’est resté pour toujours. C’était celui qui vous apprenait le fameux RECOFGERVI, pour vous rappeler la hiérarchie des êtres vivants : chaque lettre devant évoquer, dans l’ordre, les RECOFGERVI, pour vous rappeler la hiérarchie des êtres vivants : chaque lettre devant évoquer, dans l’ordre, les vivants : chaque lettre devant évoquer, dans l’ordre, les notions de RÈGNE, EMBRANCHEMENT, CLASSE, ORDRE, FAMILLE, GENRE, ESPÈCE, RACE, VARIÉTÉ et INDIVIDU. Dans la grande catégorie des vertébrés, le mot clé était MAMOIREPBAPOIS. MAM pour MAMMIFÈRE, OI pour OISEAU, REP pour REPTILE, BA pour BATRACIEN et POIS pour POISSON. Quand nous abordions l’étude des mammifères, il nous brandissait la redoutable formule mnémotechnique suivante : « SinLéCar PinIn ChéRonÉ ProRhi SoPorRu CéMarMo ». Sin pour SINGES (ou PRIMATES), Lé pour LÉMURIENS, Car pour CARNIVORES (ou CARNASSIERS), Pin pour PINNIPÈDES, In pour INSECTIVORES, Ché pour CHÉIROPTÈRES, Ron pour RONGEURS, É pour ÉDENTÉS, Pro pour PROBOSCIDIENS, Rhi pour RHINOCÉROS, So pour SOLIPÈDES (Ongulés), Ru pour RUMINANTS, Cé pour CÉTACÉS, Mar pour MARSUPIAUX et Mo pour MONOTRÈMES. Et il y en avait beaucoup d’autres.

Frère Claude

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