Les fantasmes d’un stagiaire

Tu devrais téléphoner à Bruno Roy, il enseigne au Mont-Saint-Louis. C’est là que je suis allée au secondaire. En plus, tu dis que vous vous entendiez bien dans votre séminaire de création littéraire.

Ma blonde de l’époque continue : une bonne école, relax, facile à voyager, je devrais choisir mon lieu de stage avant que l’université le fasse pour moi, tu ne le regretteras pas… C’est décidé, j’appelle. Bruno accepte de me rencontrer.

Je dois faire bonne impression. Pas de jeans. Rasé. Un roman de William Faulkner en main.  Ou James Joyce? Ou Marcel Proust? Naan… Tandis que j’agonise ira : faut toujours suivre notre premier choix.

Debout devant la porte du 368, j’entends un rire sonore communicatif qui me cloue un sourire au visage : on s’amuse là-dedans! Bruno ouvre la porte. Poignée de mains énergique. Tape sur l’épaule. Que des hommes au deuxième cycle. Un vestiaire littéraire. Il me présente. J’entends à peine sa voix, occupé à remarquer qu’il y a quatre bureaux et que nous sommes cinq. Faudra que quelqu’un quitte…

Daniel Mativat, peut-être? Un Français… Breton, précise-t-il, en me serrant la main. Français ou Breton, commence à faire tes bagages, le gars de Thedford Mines arrive! Lui, c’est Claude Bachand : Indépendantiste velu; la moitié de ma taille. Facile. Le rire de tantôt résonne de nouveau. Un oasis. Ça se complique. Et voilà Normand, prends-tu-pour-le-Canadien-toé, Landry. L’âme russe dans une grosse bière. Dure décision. Mes yeux regardent à nouveau Bruno. Enfant de Duplessis. Frondeur. Présidera l’Union des écrivains du Québec. Habitué à l’adversité quoi. Pourquoi pas lui? Il n’avait qu’à ne pas m’accepter comme stagiaire…

Les mois passent. Mativat s’avère une encyclopédie vivante qui m’en apprend plus en quelques semaines de stage que durant mon baccalauréat. Pas lui. Bachand est trop précieux pour la cause : je suis indépendantiste. L’autre, Landry, aime le country et les écrivains russes, Tchékov particulièrement. L’impossible existe… C’est alors que Bruno m’apprend qu’il s’en va en année sabbatique. Je pourrais le remplacer. Un an, au moins. En plus, ce sera l’année du centième anniversaire du MSL. Un envoi du ciel. Quatre bureaux, quatre enseignants. Tout s’arrange.

Les années passent. Bruno quitte pour le Cégep. Daniel nous annonce la date de sa retraite. Ensuite Claude. Puis Normand. On apprend le décès de Bruno. Quatre chaises se sont vidées. La chaise musicale à l’envers. Pas moyen d’arrêter la vie qui joue.

Et voilà que le MSL fête son 125e. J’y reverrai les gars du bureau. Ou pas. Une école, c’est plus que du mobilier, vous me direz; c’est un milieu de vie, dit-on. Vingt-cinq années ont passé. Les collègues se sont succédé. Sans S à succéder. Le MSL sera toujours au centre de nos vies. Avec le plein d’élèves annuel. De nouveaux collègues. Un stagiaire l’an prochain? Pourquoi pas? Je veux bien céder ma chaise.

Louis Vachon, enseignant au MSL de 1987 à

Extrait du livre Collège Mont-Saint-Louis 1888-2013 125 ans d’histoires Témoignages d’hier et d’aujourd’hui

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