Quand la vie rime avec passion

Dans mon temps, au Mont-Saint-Louis, les « conditions pécuniaires » suggérées pour poursuivre ses études s’élevaient à 428$ par année. Ce montant comprenait les frais pour l’enseignement et l’inscription. C’était 47 ans passés…

Mes parents reçoivent en effet la lettre confirmant mon acceptation au Collège, le 30 janvier 1967. Le directeur des études, le frère Urgel Bettez f.é.c., indique que mon jeune âge, 10 ans et 1 mois, nous invite à la prudence.

Conscient du danger qui me guette, mes parents n’hésitent pas très longtemps et fort d’un été passé « …sur une île inventée, sortie de notre tête, toute aux couleurs de l’été » (Un jour, un jour, chanson thème de l’Expo 67 par Stéphane Venne, 1967), à découvrir la culture des peuples du Monde, à parcourir les pavillons multicolores de Terre des Hommes, faisant estampiller mon passeport, découvrant la musique et les costumes traditionnels des divers pays, je quitte l’univers fascinant de contrées jusque-là inconnues ou proposées dans l’imaginaire de Jules Verne, stupéfait par les diversités linguistiques, religieuses et ethniques pour entrer au cénacle de la rue Sherbrooke.

Il s’agissait d’un imposant édifice dont le style Second Empire construit au tournant du siècle dernier (1888-1908) présentait une composition symétrique de la façade formée de pierre calcaire à bossage d’un gris terne, avec une multitude de fenêtres. L’architecture monumentale du bâtiment évoquait à mes yeux l’importance de l’institution qu’il abritait.
Les marches vermoulues des escaliers et les rampes patinées par des régiments d’étudiants nous donnaient accès aux classes du 5e étage logées sous le toit en mansarde, mais j’ai encore en mémoire les « cabinets de curiosité » et laboratoires des niveaux inférieurs, la cafétéria que nous partagions avec les étudiants du Cégep du Vieux Montréal, le tunnel qui menait au fabuleux gymnase et ses vitrines qui regorgeaient de trophées nous rappelant les exploits des Kodiaks et des équipes sportives qui ont bâti la réputation du Collège.

Au cours de l’année 1968-1969, le gymnase est grandement endommagé par un incendie mais plusieurs autres éléments viennent remettre en question l’existence même de ma présence au sein de cette institution. Mes performances académiques laissent à désirer et le statut du Collège est remis en question.

En septembre 1969, nous sommes près de 800 étudiants à franchir les portes de l’ancien Collège Saint-Ignace, devenu le berceau de cette nouvelle association coopérative. Dans le contexte d’alors, c’était toute une aventure et je dois ici rendre hommage aux fondateurs de cet ambitieux projet éducatif, aux professeurs et membres du personnel qui ont contribué à notre épanouissement. Bien évidemment, je dis cela avec le recul objectif de l’esprit car à l’époque de la Crise d’octobre (1970), de la Série du siècle (1972) et du diligent Robert Brunet, directeur des élèves, les jeunes arborant le veston « vert lime » tout comme nos aînés de bleu vêtus devaient marcher « le corps raide et les oreilles molles ».

Mon passage au MSL a été une grande expérience et a contribué à l’orientation de ma carrière. Certes, ma famille avait semé des valeurs de respect, rigueur, fierté, responsabilité et autonomie mais j’ai trouvé dans ce Collège l’environnement pour les faire croître et un coffre à outils qui m’a servi pour me démarquer dans les domaines de la muséologie et du patrimoine. Il faut indiquer qu’à fréquenter un bâtiment historique classé tel que la maison Saint-Joseph où à l’époque nous suivions des cours de dactylo, aujourd’hui un artéfact pour la majorité d’entre nous, j’y ai trouvé source d’inspiration.

Du MSL je retiens également l’amitié et les heures passées en compagnie de mes collègues sur les patinoires après les heures de cours, et bien sûr, toute la passion que mes professeurs m’ont transmise. C’est d’ailleurs toujours l’état permanent de son action qui domine ma vie encore aujourd’hui.

J’ai connu un parcours parsemé de rebondissements et d’extraordinaires opportunités de carrière que je dois à ces enseignants – guides de ma jeunesse – et tout particulièrement à messieurs Jean-Marc Lalonde (mathématiques, secondaire V) pour sa patience et ses qualités de pédagogue, Jean-Noël Beaupré pour ses méthodes innovatrices de communicateur (parlant à son tableau, lançant craies et brosses à la tête des élèves inattentifs), Yves Tardif pour m’avoir fait découvrir l’expression orale par la voie du théâtre.

Je me souviens encore de ma prestation dans Bousille et les justes de Gratien Gélinas. Au troisième acte, alors que les justes exercent une pression morale et physique sur le pauvre Bousille afin d’obtenir le parjure du malheureux témoin, on le force à boire. Évidemment, nous avions pratiqué cette scène « à sec » mais au moment de la représentation, je me vois contraint d’ingurgiter une bonne quantité… d’eau – tout de même, nous sommes sous la férule de monsieur Brunet – donc cette eau doit sortir, aussitôt fait, mais la voilà giclant de ma bouche comme une de ces fontaines que l’on peut admirer sur les places publiques. Je vous laisse le soin d’imaginer l’effet sur les spectateurs des premières rangées… Un drame qui tourne en vaudeville!

Il y a bien eu aussi le frère Blondeau f.é.c. qui m’enseignait l’anglais et m’a fait confiance sur l’équipe de basketball. Pauvre lui, j’ai toujours autant de misère qu’avant à viser le panier et j’étais une « triple buse » en anglais… Sur ce dernier point du moins, il peut être fier; je travaille dans la seule province officiellement bilingue du Canada! Enfin, Gilles Léger, professeur de latin et d’histoire qui changeait de complet et de cravates assorties à tous les jours, peut-être en raison du nuage de poussière de craie qui se dégageait des notes rédigées au tableau et qui accompagnaient ses envolées oratoires. J’ai été subjugué par son admirable éloquence et sa manière de présenter l’histoire.

Et un peu comme tous les autres étudiants de mon âge, l’arrivée des filles a ajouté un zest de je ne savais quoi dans ma vie quotidienne de collégien. La tête penchée légèrement vers la cours gazonnée de l’école, l’absence de gymnase n’ayant pas que de mauvais côtés, je me mettais à rêver, les regardant s’exercer dont une en particulier que je trouvais particulièrement agréable à voir courir et nager, puisqu’en effet, dans mon temps, nous allions pratiquer la natation une fois par semaine, à la piscine du Collège Marie-Victorin. Dans l’autobus scolaire qui nous amenait « hors les murs », je m’assoyais souvent derrière elle, pas trop près toutefois, pour admirer ses tresses blondes qui lui tombait sur les épaules mais que certains s’amusaient à lui tirer. Mon Dieu qu’elle était belle dans son costume de bain rayé bleu et blanc, voguant sur l’onde grâce aux mouvements de ses bras majestueux. J’étais heureux, simplement à la regarder me sourire, trop gêné pour lui adresser la parole.

Quelques années plus tard, lors de la soirée de retrouvailles dans le cadre des fêtes du 10e anniversaire, comme dans les films, « La » rencontre eut lieu alors que chacun de notre côté, elle remontant la table où se trouvait le buffet et moi louvoyant vers le même objectif, nous nous sommes heurtés dos-à-dos pour nous retrouver nez-à-nez, surpris de prononcer nos noms, heureux de partager cet instant délicieux, à tout jamais gravé dans ma mémoire. Je vous laisse imaginer le cours de l’histoire… mais attention, il ne faut pas sauter trop vite aux conclusions et sous-estimer l’effet du violon!

Merci de m’avoir donné l’opportunité de me faire revivre une page de mon histoire et de vous la partager.

Guy Tremblay, promotion 1973

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